Yesterday was like a dream | Minds

La forêt dense portait bien son nom. Les sentiers étaient rares et les seuls existants finissaient barrés par des troncs d’arbres. Les rayons du soleil perçaient mal les épaisses feuilles des arbres. Il faisait sombre, mais cela ne dérangeait personne. Les oiseaux chantaient, les petits mammifères s’affairaient, les prédateurs rôdaient. Rituel de chaque jour. La vie est ainsi. Tout semblait en paix, comme si rien ne pouvait briser le calme ambiant. C’était cette atmosphère que Memories était venue chercher. Elle commençait à bien connaître cette forêt et ses pièges. C’était sa mère qui lui avait apprit à reconnaître la forte odeur des carnivores. Sa mère si sage, si douce … Après toutes ces années, Memories n’avait jamais fait son deuil. C’était impossible que ça mère l’ait quittée. Ainsi, elle savait que, quoi qu’elle fasse, où qu’elle allait, cette dernière la regardait. Elle le sentait, et c’était la seule chose qui était susceptible de lui redonner un peu de courage. Malgré tout, elle était seule sur cette terre. Certes, cela ne la dérangeait pas plus que ça, mais elle faisait désormais partie d’un clan. Ne devrait-elle pas rencontrer quelques uns de ses membres ? Voilà déjà plusieurs semaines qu’elle avait intégrée ce troupeau et, mis à part quelques chevaux au loin, elle n’avait toujours pas fait connaissance avec l’un d’entre eux. La jument s'arrêta. Elle savait que les chevaux ne tomberaient pas du ciel. Si elle voulait faire connaissance, elle devait les chercher, aller à leur rencontre. Mas c’était bien ça, le problème. Jamais Memories n'allait vers les autres. Alors elle vivrait toujours seule. Tant pis pour elle.

La jument leopard se souvint de son arrivée sur les terres d'Horse Your Dream. Elle venait de quitter un étalon noir avec qui elle avait passé une saison entière. Elle ne pouvait pas dire que c'était un ami, ils n'étaient pas assez proche pour cela, mais elle l'avait appréciée. Désormais, elle savait qu'ils ne se reverraient jamais. Comme d'habitude. Avant de partir, il lui avait parlé d'un endroit où les chevaux étaient séparés en clans. Memories avait alors décidé de s'y rendre, pensant qu'elle pourrait enfin changer de vie. Elle commençait à en avoir assez de voir toujours les mêmes terres. C'est ainsi qu'elle se mit en chemin, pendant des jours et des jours. Elle ne s'arrêtait pas, poursuivait son but coûte que coûte, comme elle en avait toujours eu l'habitude. Elle ne savait pas précisément quel chemin prendre et se trompait souvent. Mais elle était déterminée et ses efforts payèrent. En réalité, elle ne se rendit pas de suite compte qu'elle était arrivée, mais les odeurs ne trompaient pas. Des troupeaux de chevaux se trouvaient bien là, chacun ayant plusieurs terres pour lui.

Quelqu'un approchait. Son ouïe était fine. Elle savait qu'il s'agissait d'un cheval, tant le son de son pas était reconnaissable. Elle chercha le nouveau venu des yeux et attendit qu'il se montre. Que pouvait-elle faire d'autre ? Qui sait sur qui elle allait tomber.

Il y avait cette masse de verdure, de mousse, de troncs et de rochers. Tellement vert que ça brûlait les yeux, que c'en était désagréable de rester dedans. Cet endroit avait été baptisé la forêt dense. Elle était peuplée de conifères et de feuillus. Elle regorgeait aussi d'oiseaux et de petits rongeurs, ainsi que de divers herbivores. Pour certains, c'était le paradis sur terre, pour d'autres, ce n'était qu'un labyrinthe dont on ne voyait ni le début, ni la fin. Une forme se découpait sur le fond trop vert du paysage, le contraste était flagrant. L'animal arborait une couleur dorée, dotée de crins d'un blanc neigeux. Il possédait une forte musculature, et un air agacé dansait dans ses yeux noisette. Il n'avait pas franchement l'air d'apprécier cet endroit. Il aimait certes l'aventure et autres formes de voyage, mais il avait l'impression de tourner en rond depuis plusieurs heures si bien qu'un mal de tête se mit à germer. L'étalon, car cette forme n'était autre qu'un cheval, se remit en marche, choisissant un petit trot actif, ce qui faisait flotter sa crinière derrière lui. La queue légèrement panachée, il avait l'air fier. Un soupir s'échappa néanmoins de ses lèvres entrouvertes. Il zigzaguait entre les arbres, déviant tout obstacle qui avait le malheur de se présenter devant lui.

Après quelques minutes de trot – celle qui lui parurent les plus longues de sa vie – le palomino, dénommé Like Minds s'arrêta. Il était dissimulé entre les troncs, les rochers, et une foule de branches basses se tenaient devant ses naseaux. Quelques mètres devant lui, se tenait une jument. Elle était blanche et parsemée de taches noires. Sans vouloir faire son étalon charmeur, Like la trouvait fortement agréable à regarder. Ses yeux se plissèrent, et il décida de sortir des fourrés où il était caché. Car il savait ce que c'était de se sentir épié, et il y avait beaucoup plus agréable, comme sensation. Reculant de quelques pas, il esquiva les branches basses et avança vers la jument, les oreilles dressées en avant. Il fallait avoir l'air amical. Ce serait tout de même désolant de la faire fuir dès les premiers instants. L'étalon fit exprès de piétiner le sol assez fort, afin de prévenir la jument de son arrivée.

« Bonjour, mademoiselle. »

Dit-il. Pour une rare fois, sa voix était amicale, et non froide et insensible à tout. Oui, car Like n'était pas ce qu'il y avait de plus sociable, sur terre. Étant assez timide et donc très renfermé, il préférait la contemplation des choses au grand discours inutiles. Il y avait-il un quelconque intérêt à dépenser sa salive pour rien ? Non, il n'y en avait aucun. C'est pour cela que le palomino se contentait des politesses de bases. Il s'était donc sentit obligé de saluer la jument léopard, car faire un dialogue uniquement composé d'expression du visages et gestes n'était pas non plus ce qu'il désirait.

( en espérant que la longueur te convienne. )

Il semblait y avoir une sorte de gêne, entre les deux équidés. Aucun des deux n'arrivait vraiment à parler à l'autre, à faire le premier pas pour une conversation normale. Il n'y avait qu'à regarder leurs deux expressions froides, leurs impassibilité. Dans les yeux de l'une brillait des étincelles d’inquiétude, dans les yeux de l'autre on pouvait voir quelqu'un en quête du bonheur. Like Minds avait perdu son bonheur de vivre au fil des ans, à force de voyage avec pour seule compagnie la solitude. Alors qu'il fixait la jument appaloosa en silence, cette dernière eut un sourire. Mais le palomino savait que tout en ce sourire était faux. Il n'était pas sincère. Il donnait juste une image. Pourquoi faire ça ? Car l'on se sent obligé, c'est toujours comme ça. Pour ne pas paraître trop froid, pour faire en sorte de s'intégrer. Car oui, il paraît que la solitude tue. Et quand il y pense, Like Minds est persuadé qu'il mourra de cela. L'absence rend muet, elle n'interdit pas la parole, mais au bout d'un moment, l'on en sait plus comment faire pour parler. La jument léopard parla, de nouveau, brisant le silence dans lequel ils étaient plongés.

« En effet, j'en suis un. Je suppose que si je n'étais pas du Clan, l'on m'aurait chassé. »

Répondit-il, sans chaleur. C'était étrange, face à cette jument, qui semblait lui ressembler d'un point de vue social, Like Minds faisait tomber les masques. Il n'arrivait pas être faux, avec elle. C'était trop dur. Puis il capta le regard de cette dernière. C'était troublant, jamais le palomino n'affrontait le regard des autres. Lui il préférait avoir son regard dans le ciel, parmi les étoiles et les nuages. Dans l'inaccessible. Il haïssait être scruté de cette façon, ça le poussait à se renfermer encore plus. Il craignait quand regardant trop en lui, l'on lui arracherait son Savoir, sans rien laisser. Sa tête était son Jardin Secret, il ne confiait rien à personne, rien. Fixer quelqu'un comme cela, c'était un peu comme rentrer dans sa maison sans frapper, oui c'était exactement ça. Like Minds pouvait très bien en faire de même. Il plongea alors ses prunelles noisettes dans le regard de la jument léopard, il restait concentré dessus, clignant à peine des paupières. Il allait lui montrer, à quel point c'était désagréable. De se mettre à nu involontairement. Il s'accrochait aux yeux de la jument. Like se rendit compte qu'il prenait un malin plaisir à faire cela, il se ressaisit et détourna vite le regard, un peu honteux. C'était mal, de faire ceci. Ça n'était pas un étalon méchant, non. Il souffrait juste d'un énorme manque d'affection.

« Mes pas m'ont traînés des années avant d'arriver ici. Et je me prénomme Like Minds. »

Il s'était présenté, pour une rare fois dans sa vie. Sa voix avait raisonné dans le bois, grave. Il ne tenta même pas de sourire. Il ne voulait pas, c'était tellement inutile ! Il repensa à ses longs périples. Aux jours où il s'écroulait de fatigue, les muscles tremblants, en sueur. Les jours où il voyageait accompagnait, et qu'il pouvait discuter d'horizons lointains avec ses semblables. Des jours où il fallait fuir le danger, galoper longtemps, très longtemps, sans arrêter. Mais il y avait des jours paisibles, où la vie n'était que magie et fantaisie. Mais ces souvenirs s’effacent avec le temps. Mais rien n'est plus bon que d'y repenser. Like Minds leva un regard plein de nostalgie vers la jument léopard. Ses épaules s'affaissèrent, il était fatigué, aujourd'hui. Fatigué de vivre.